dimanche 20 novembre 2016

La Grande Illusion. Comment la France a perdu la paix 1914-1920

Enfin le livre que j'attendais depuis longtemps. Je m'étais toujours demandé pourquoi l’Allemagne n'avait pas été démembrée à la fin de la première guerre mondiale. Lors de mes voyages outre Rhin j'ai eu l'occasion de glaner quelques pistes mais ce bouquin m'a offert l'opportunité de les vérifier et de les compléter.

Alliances et déclarations de guerre durant le premier conflit mondial.

Voici un livre bien écrit qui pose une problématique à chaque chapitre et y répond en suivant autant que faire se peut le déroulement chronologique mais ce n'est pas systématiquement le cas.
Disons le tout de suite, malgré ses qualités littéraires indéniables il est souvent difficile de suivre les propos et les élucubrations d'hommes qui jusqu'à présent n'étaient pour moi que des noms de rue (Aristide Briand, Paul Painlevé, Raymond Poincaré, Albert Thomas...)... ou de porte-avions (Clemenceau, Foch...). C'est propre au sujet et aux emberlificotages qui font passer Games of Throne pour une aventure de OuiOui, et l'auteur n'y peut pas grand chose. On ne peut saluer que sa prouesse à rendre lisible l'écheveau de forces et de tractations en tout genre qui émaillent son sujet.

Parmi les portraits des dirigeants français de l'Union Sacrée qui illustrent ce billet, seras-tu reconnaître les socialistes des réactionnaires? Attention, l'un d'entre eux est un vrai connard qui possède une planche à savonnette pour ses petits copains; seras-tu le démasquer ?


La première partie très intéressante est consacrée au déclenchement de la guerre en suivant pas à pas les traces des hommes d'État. On y apprend que l'ultimatum Autrichien à la Serbie a été sciemment lancé au moment soit disant opportun où les dirigeants français (le président du conseil bi-classé ministre des affaires étrangère et le président de la république) étaient isolés sur un navire qui les ramenaient de Russie et incapables de communiquer efficacement.
Du coup, la France n'a pas eu la réactivité nécessaire ce qui s'est avéré un fort mauvais calcul des puissances centrales puisque le coup de force a dégénéré en conflit généralisé contrairement aux précédentes frictions (crises du Maroc et autres...).
Mais l'augmentation de la fréquence de ces dernières mettait de plus en plus à mal tout le système d'équilibre européen dont les règles avaient été tacitement établies après le congrée de vienne (1815).
L'auteur montre l'évolution de ces pratiques généralement gardées secrètes et la volonté de forces politiques diverses et variées d'y mettre un terme. Après tout, si le conflit avait pu être encore évité cette fois-là, il aurait très certainement éclaté la fois d'après (Don't throw a 1 bondieu de merde!).

Les considérations d'ordre techniques ne sont pas non plus oubliées. Il est judicieusement rappelé que la technicité et la rapidité de la mobilisation générale faisaient peser, à tord ou à raison, sur les état-majors, un poids déterminant dans la volonté d'être le premier à la déclencher en cas de conflit.


La seconde partie traite des buts de guerre et l'on est surpris que l'essentiel d'entre eux soit déjà fixé dès le début du conflit dans les esprits des dirigeants bien que rien de tout cela ne soit mis plus ou moins sur le papier avant 1916-17 sous la pression américaine.


Le cœur du livre traite principalement des moyens d'y parvenir et des tentions entre les hauts personnages de l'état français. Il est aussi question des tractations avec les alliés.L'entrée en guerre de l'Italie et dans une moindre mesure de la Grèce, a posé pas mal de problèmes à une diplomatie qui promettait la même chose à plusieurs alliés potentiels en même temps. Mais tous les dirigeants ont exigés de garanties (= territoires allemands démilitarisés ou pas) pas toujours bien définies pour éviter le prochain conflit avec un voisin très très très encombrant. "Garanties" qui, aux yeux des alliés, allaient de soit en temps de guerre mais qui furent beaucoup moins évidentes la paix venue.

Cependant, bien qu'au niveau des état-majors subsistait jusqu'au début 18 une certaine méfiance entre Britannique et Français, on est surpris de découvrir la grande connivence et l'unité de vue qui existait entre les plus hauts dirigeants Français et Anglais alors même que leurs ministres respectifs n'était pas toujours au diapason (union sacrée oblige).


Enfin il est question de l'initiative diplomatique Américaine (les fameux deux essais transformés du président Wilson) qui prend de l'ampleur avec leur implication militaire et qui surtout restreint Britanniques et Français dans leur pratiques secrètes habituelles. Mais l'auteur prend le soin d'indiquer que cette démarche pouvait avoir plusieurs lectures ce que les participants ont bien noté en utilisant, par exemple, le principe de liberté des peuples à disposer d'eux même quand cela les arrangeaient.


Cependant, alors que la guerre avait parue perdue lors des offensives allemandes du printemps 18,  la précipitation de sa fin en un laps de temps très court (septembre-octobre 18) va faire voler en éclat l'unité entre alliés. Charge à chacun de s'emparer de plus de choses possibles avant la signature des armistices permettant aux Français d'imposer leur vue en Europe de l'Est (Création de la Yougoslavie et de la Pologne, agrandissement démentiel de la Roumanie) tandis que les Anglais se jetaient comme des morts-de-faim sur les territoires de l'Empire Ottoman; révélant à tous que l'agrandissement de leurs assises coloniales était bel et bien leurs buts de guerre principaux.
Du coup, c'est avec une ironie consommée que l'Allemagne avait perdue de son intérêt et que la monarchie Austro-Hongroise était à sauver pour conserver un contre pouvoir en Europe centrale. Mais l'heure était venu pour l'Empire pluri-ethnique de sombrer définitivement plus personne ne pouvait plus rien pour lui.

L'Autriche-Hongrie, avant/après.

Quant à l'Allemagne, seuls certains dirigeants français étaient portés à la démanteler en isolant Sarre et Rhur et en recréant le royaume de Bavière. Mais les Anglais et les Américains ne l'ont jamais permis. Cet aspect est bizarrement à peine abordé par l'ouvrage (peut être trop centré sur les aspects de politique internationale). Or, des tentatives séparatistes supportées en sous-main par les Belges et les Français dans les années 20 ont belles et bien existé; l’hôtel de ville d'Aix-la-Chapelle en porte encore les stigmates. C'est l'intervention des anglo-saxons qui ont sommé les francophones de rétablir l'ordre dans les territoires que leurs armées respectives contrôlaient. Avec le recul, on est interloqué par cette volonté de conserver une Allemagne forte et unies quant on sait ce que cela a donné deux décennies à peine plus tard.
Certains pourraient juger cette attitude comme criminelle mais l'histoire officielle s'en garde bien.


Au final, alors qu'elle est au yeux du monde entier la grande vainqueur de la guerre, que son armée est la première du monde en quantité et en qualité, que ses sacrifices et son abnégation forcent le respect indéniables et avéré de tous ses alliés et même de ses adversaires (sauf les allemands), la France a perdu la paix. Elle a été incapable de faire valoir ses vues et si Américains et Britanniques étaient prêt à lui accorder les garanties d'une paix durable avec son voisin d'outre Rhin, ils se sont bien gardés de traduire cela dans les faits. Avec le temps, leur respect s'est muet en opposition larvée jusqu'à exercer des pressions pour juguler les exigences françaises.
Dans nos cours d'Histoire, il est question de ces exigences outrancières, cause de la monté du nazisme en Allemagne, mais c'est en fait l'Angleterre qui a cherché à imposer des réparations de guerres aux sommes astronomiques. Or, il est indéniable que si les buts de guerre français vis à vis de l'Allemagne s'étaient imposés, la face du Monde aurait été tout autre.

Les belles têtes de winners.
 
Mais en avait-elle vraiment les moyens et la volonté? Car au delà de la frénésie nationaliste de la fin de la guerre (Acquittement pour l'assassin de Jean Jaurès) il est avéré que rapidement, le peuple français ne souhaitait plus s'engager dans aucun conflit qu'il soit armé ou pas. Si bien que les territoires occupés sur la rive gauche du Rhin furent évacués bien avant l'échéance; L'un des hommes dont le portrait se trouve dans ce billet recevra le prix Nobel de la paix pour ça. Et on ne parle pas des positionnements diplomatiques adoptées dans les années 30.

Force est de constater que les généraux allemands ont su avec clairvoyance choisir le moment opportun pour déposer les armes. Certes, leur pays a été livré au chaos (révoltes Spartakistes) mais rien d’irrémédiable n'avait été commis ce qui lui valu une relative indulgence de la pars des anglo-saxons en jouant la carte de l'isolement des français dans leur jusqu’au-boutisme anti-boches. Un simple regard sur la carte ci-dessous montre que parmi tous les perdants, l'Allemagne s'en sort plutôt bien (attention, pour la Turquie la carte est tronquée).

Bilan Territorial européen de la grande guerre.

Cependant, et bien que le livre n'aborde absolument pas le sujet, sa lecture pousse à s'interroger sur certains points. Avec un peu de recul sur l'enchaînement des événements, on ne peut que se poser la question :  mais que sont venus faire exactement les État-Unis dans ce conflit?

L'image de couverture, l'ouverture de la conférence de la paix (Wilson, Clemenceau, Loyd Georges), Quai d'Orsay à Paris en 1919 (L'image appartient à l'Imperial War Museum de Londres). Les alliés décident entre eux du devenir des perdants sans aucune négociation pendant que l'armistice est reconduite tous les mois jusqu'à la signature finale.
 
Signature du traité de Versaille dans la galerie des glaces 1920. Signer sans condition ou reprendre la guerre? Des ajustements aux exigences ont-elles eu lieu pour faciliter le choix?

2 commentaires:

  1. Ohla!

    J'en ai raté des posts. merci pour la découverte du livre.

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    1. Pourtant j'ai fait des efforts en ne publiant rien depuis pas mal de temps maintenant :D

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