Encore un ouvrage planqué au milieu d'autres livres chez un libraire qui a failli m'échapper. C'est pas une vieillerie mais une nouveauté.
En fait, c'est le turban truc qui m'a attiré. Comme quoi, le choix de la couverture peut être encore déterminant.
Il s'agit d'un ouvrage traitant de la traite en Europe durant ce qu'on peut appeler sans jeu de mot, le trou noir de l'histoire de l'esclavage, c'est à dire qu'il couvre l'évolution de cette pratique entre la fin de l'Empire Romain d'Occident et le XVIIIè siècle.
Bref, il remet quelques pendules à l'heure, en rappelant des faits que trop d'historiens ont passés sous silence et dont l'une des conséquence auprès du grand public est de faire croire que l'esclavage a disparue avec l'Antiquité en Europe, c'est à dire avec l'avènement de l'Église, pour ne réapparaitre que bien plus tard sous la forme de la traite négrière et du commerce triangulaire de l'Atlantique.
La majeur partie du livre est d'ailleurs consacrée aux âges sombres
dont nous avons récemment parlés ici-même. Ceci dans le but de bien montrer que le Christianisme n'y est absolument pour rien dans la "fin" de l'esclavage puisque ce dernier a été principalement remplacé par des inventions techniques et le servage (nouveau statut de servitude), mais aussi que les européens ne se faisaient pas de cadeaux et continuaient à se razzier allègrement afin de fournir, principalement aux territoires musulmans (Espagne Andalouse, Magreb, Égypte et Mésopotamie) des esclaves c'est à dire de la main d'œuvre, de la force motrice.
D'ailleurs un nouveau mot s'est forgé à cette époque. Comme les esclaves antiques (servus) étaient désormais rattachés à une propriété foncière pour donner les serfs, un nouveau mot pour qualifier les esclaves propre à l'exportation fit son apparition en confondant la nature de la marchandise avec sa fonction : slaves, du nom de la principale peuplade soumise aux razzia Franques, qui devint slaves en anglais et esclaves en français.
Avec un cynisme maitrisé, l'auteur n'hésite pas à mettre en parallèle les flux de métaux avec les flux des esclaves puisque dans les deux cas, il s'agit de matières de haute valeur facile à transporter (petit volume pour les uns, autonomie de déplacement pour les autres) ce qui rendait ces marchandises propres à exercer leur rôle de monnaie d'échange, voir de monnaie tout court. Ceci à des années lumières des valeurs des Européens du XXIème siècle.
Le livre se découpe en très petits chapitres de quelques pages seulement (généralement moins d'une demi-douzaine de pages). Ce qui le rend assez facile à lire car les idées principales ressortent bien et les démonstrations ne se perdent pas en digressions. Je n'ai pas non plus l'impression qu'il faille des prérequis pour entreprendre sa lecture mais une connaissance des grandes étapes de l'histoire de l'humanité me semble tout de même nécessaire. De toute manière, pour les périodes "glauques", l'auteur fait de sommaires rappels des faits historiques.
Les derniers chapitres du livres, consacrés aux relations tendues entre cosaques et tartares sous l'influence de la Moscovie ou de l'Empire Ottoman, voir de la Pologne, sont une véritable mine à scénarios historiques divers et variés. De quoi se lancer immédiatement dans la lecture d'
Irregular Wars et la peinture de
figurines grumpy's ;)
La première page du livre :
" La Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948 stipule dans son article 4 que «nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes». En France, la loi du 10 avril 2001 a qualifié la traite et l'esclavage de crime contre l'humanité. Revirement notable par rapport à la position qui a prévalu dans toutes les sociétés et toutes les religions, pendant une longue période de l'histoire humaine, où la réduction en servitude et le commerce des esclaves étaient considérés comme des activités honorables, normales sinon banales et tout à fait dans l'"ordre naturel des choses". Un historien réputé de la question, Moses I. Finley, distingue cinq sociétés esclavagistes : la Grèce classique et certaines parties du monde hellénistique ; le monde romain de la fin de la République et de l'Empire ; les États-Unis avant la guerre de Sécession ; les Antilles et enfin le Brésil de l'époque coloniale. Il fait là preuve d'une singulière myopie avec l'oubli majeur et stupéfiant que sont la traite musulmane et la traite des Slaves, signes évidents de systèmes esclavagistes qui ont échappé à son attention. Cette attitude est assez représentative de la plupart des historiens actuels, enfonçant des portes ouvertes en reléguant cet infamant problème du trafic de chair humaine soit dans le monde antique, soit dans un passé colonial récent. C'est en 937 que le terme latin sclavus, de slavus /slave, a été utilisé pour la première fois à la place de servus dans un diplôme délivré à un marchand d'esclaves ; son terme français - esclave - ne commença à être usité qu'au XIIIe siècle, selon le dictionnaire Le Robert, dans le sens de «personne qui n'est pas de condition libre, qui est sous la puissance absolue d'un maître, soit du fait de sa naissance, soit par capture à la guerre, vente, condamnation. Le nom ethnique des Slaves devint le synonyme de non-libre et sera adopté par d'autres langues, remplaçant le grec doulos et les latins servus, mancipium et ancilla (pour la femme). La Slavonie, correspondant à une partie de l'actuelle Croatie, était ainsi appelée Esclavonie ; un quai d'embarquement à Venise, active traitante, s'appelait "Quai des esclavons"."La traite des Slaves ou l'esclavage des blancs, d'Alexandre Skirda est publié aux éditions Max Chaleil, et traite d'une page méconnue de l'histoire de l'humanité à savoir la traite et l'usage des esclaves de la fin de l'antiquité à la Révolution Française. C'est un livre qui se lit bien et qui remet pas mal de pendules à l'heure tout en permettant de mieux connaitre les évolutions de notre monde. Les croyants de tout bords on cependant du soucis à ce faire et les tentatives des uns et des autres pour se disculper d'une pratique passée de mode sont décortiquées et souvent démontées, preuves à l'appuie, par un auteur vif au style souvent direct et sans fioriture. :mrgreen:
EDIT : On peut cependant regretter que les ultimes chapitres ne soient pas de la qualité du reste de l'ouvrage. Se rapprochant de son collègue Jacques Heers et d'un militantisme anti-turcs assumé, l'auteur oublie les sources, se concentre sur les anecdotes et fait des citations tronquées ou des omissions que je juge coupables (nottament quand il cite partiellement le travail des Benassar qu'il faudrait que je vous présente à l'occasion). Stéphane
Ahhh, non pas encore un livre qui m'intéresse ... tu vas avoir des soucis avec ma femme toi ....
RépondreSupprimerQuant à cet appel du pied pas très discret, encore une période où je n'est hélas pas de fig.
Ça va venir :mrgreen:
RépondreSupprimerStéphane
C'est qui les historiens qui font croire qu'il n'y avait pas d'esclavage au Moyen-Age ?
RépondreSupprimerEn fait le christianisme a fait diminuer l'esclavage... des chrétiens. En principe on ne réduisait pas en servitude des chrétiens, même si après on pouvait convertir les esclaves.
Très intéressant. Encore un ouvrage alléchant.
RépondreSupprimerTu vas finir par nous avoir avec Irregulars wars ;-)
@Wlaktapus : En fait, d'après l'auteur, il y a pas mal d'hypocrisie des médiévistes qui font semblant de voir que le servage n'est pas une forme d'esclavage du fait même que le nom est différent. Du coup, même l'esclavage des chrétiens n'a pas diminué rapidement. On en faisait des serfs. Bien sûr, il existe des exception où des marchands pas très regardant sur la marchandise qui fourguaient n'importe quoi, chrétiens ou pas à leur revendeurs.
RépondreSupprimer@ Nicofig : La dernière partie du livre (celle qui m'intéresse le plus) au sujet de la traite Tartare est de bien moindre qualité que le reste. C'est dommage, car elle aurait mérité un traité au moins aussi complet que le travail des Benassar sur la traite Barbaresque. En plus, les approximations de l'auteur et ses contradiction patente, laisse planer le doute sur le reste de l'ouvrage ce qui est gênant au final. Mais la partie sur le haut moyen âge (âges sombres) semble mieux calibré et traitée.
STéphane
Le servage est une forme de servitude plus douce qui a le mérite d'être durable. Car les esclaves se reproduisent mal, d'où la nécessité de la traite. Et c'est uniquement rural. Il me semblait que le servage était surtout issu du colonat romain.
RépondreSupprimerCe qui est sûr c'est que le combat moderne contre l'esclavage, venu de certaines sectes protestantes, a été suivi à contre coeur par l'Eglise, et encore plus lentement par L'Islam.
En fait, le servage a été plébiscité en raison d'un manque de main d'œuvre semble t-il pour exploiter des propriétés tombées en désuétude.
RépondreSupprimerJuridiquement, il ne s'agit pas d'une forme plus douce. Ce qui est dramatique dans la traite c'est surtout le voyage. Une fois à destination, il y a peu de différence entre le serf et l'esclave. Bien des esclaves avaient des vies enviables, surtout dans l'empire ottoman. Mais pour un de ceux-ci, combien de maltraités arbitrairement. Il ne faut pas que l'arbre cache la forêt, mais il est nécessaire aussi d'expliquer pourquoi ce type de sociétés perdurait (et cela en dépit de la pratique plus répandu qu'on le crois de la castration et surtout des eunuques).
Dans une autre livre, "L'esclavage dans le monde arabe VIIè-XXè siècle, de Murray Gordon, on peut y lire l'argumentaire des anti-esclavagiste anglais à Zanzibare : Ces derniers explique aux marchands d'esclaves qu'il est plus judicieux d'avoir des ouvriers salariés que des esclaves car ces derniers sont de véritable gouffre qu'ils faut nourrir alors que l'ouvrier est révocable à merci sans qu'on soit obligé de le nourrir. En gros, ils mettaient leur système économique en place et les raisons morales ne les effrayaient pas trop.
Quant aux religions, on remarquera que le clergé musulman est quasi-inexistant et n'a pas ni l'impact sur les populations, ni l'organisation des clergés chrétiens. Disons que plus diffus et moins centralisé, il est plus difficile à contrôler.
Stéphane
Les serfs ne pouvaient pas être vendus. Ils possèdaient des choses. Ils cultivaient une partie de la terre pour eux mêmes. Ils payaient même des impots. T'en vois pas dans les mines ni dans les galères. Donc si, juridiquement, c'est beaucoup mieux tout de même !
RépondreSupprimerPour les anglais et l'esclavage, les choses ne sont jamais aussi simples qu'on veuille le dire. Le sentiment abolitioniste est sincère, d'origine religieuse. Et si l'esclavage avait vraiment été considéré comme économiquement défavorable à l'époque, ils n'auraient sûrement pas maintenu à grand prix une flotte pendant 50 ans (en plus des efforts diplomatiques) pour faire la chasse à la traite pour éviter que d'autres pays bénéficient d'un avantage déloyal :)
Pour l'Islam, tu ne vas pas me dire que si l'esclavage n'a été aboli qu'en 60 en Arabie Saoudite c'est parce que le clergé est diffus :)
non, je suis d'accord avec tout ce que tu dis, j'ai simplement voulu rapporté des fait qui nuance ce que tu dis.
RépondreSupprimerPour les serfs, si, ils sont vendables, avec leur terre. Ce n'est que petit à petit du VII au XI siècle que leur statut évolue. L'auteur du bouquin précise que c'est lié aux innovations technologique qui permettent de s'affranchir de la force motrice humaine. D'ailleurs il dit qu'au début, une partie des premiers serfs n'étaient autre que des esclave installé sur place.
Pour l'antiesclavagiste, pas question de nier la sincérité de la population, quelle soit anglais ou autre en Europe, en revanche, s'il n'y avait eu que cela, l'esclavage existerait encore. La force mercantile et économique britannique y trouvait sont compte en détournant les circuits qui leur échappés pour les faire tomber dans leur mains. Disons, que c'est pas clair non plus, mais l'anti-esclavagisme fut souvent un prétexte à la politique de la canonnière dont l'objectif n'était pas nécessairement la fin de l'esclavage bien que ce dernier disparaissait effectivement, par le biais de la captation des marchés locaux par les occidentaux. Si ça a si bien fonctionné, c'est qu'il y avait recoupement d'intérêt. Le problème, c'est d'évaluer la part d'hypocrisie là dedans. C'est certainement difficile.
L'esclavage existe encore certainement quelques part en Afrique sous des formes plus ou moins déguisé et oui, cela n'a rien à voir avec la Religion. Ce que je voulais dire, c'est que si les Chrétiens avaient réellement voulu être contre l'esclavage, leur église bien organiser leur aurait permis d'être efficace et de résoudre le problème de manière plus rapide et catégorique que chez les musulman. Je ne dédouane absolument pas ces dernier de cette pratique en leur trouvant une excuse bidon. Je dis juste que l'église de Rome a des moyens plus efficace d'imposer ses points de vues à ses ouailles.
Stéphane